Skip to content

Accueil > News > Four à poix à la Beuffarde...

Four à poix à la Beuffarde...

20 mai 2016

Four à poix, extraction de minerai de fer et voies antiques sur les communes des Fourgs et des Hôpitaux-Vieux

Dans le cadre du partenariat franco-suisse ArchéoPal Haut Jura, réunissant des membres du laboratoire Chrono-environnement, des Amis du musée de Pontarlier, de l’ARESAC (association de recherche et d’étude des sites archéologiques comtois) et du groupe de recherche archéologique Caligae (canton de Vaud, Suisse), une intervention archéologique a été effectuée pendant une semaine sur les communes des Fourgs et des Hôpitaux Vieux.

Contexte de la fouille. Au premier plan : mesures géophysiques dans les prairies entourant le site. Deuxième plan : la butte en cours de fouille. A gauche : la tourbière de La Beuffarde. (cliché : Daniel Daval)

Les découvertes

De nouvelles voies antiques permettant de traverser le Jura et des fosses d’extraction du minerai de fer ont été mises en évidence par les images Lidar et confirmées par des prospections de terrain.

Extrait de carte Lidar

Mais c’est à quelques centaines de mètres de la frontière suisse, dans la combe du Voirnon au lieu-dit La Beuffarde, aux confins des deux communes, qu’a été faite la découverte la plus exceptionnelle. Il s’agissait de fouiller en partie une butte qui pouvait renfermer un four qui aurait pu être lié aux nombreux puits d’extraction du fer découverts localement. La fouille partielle de cette butte, dirigée par Valentin Chevassu (doctorant MSHE-Chrono-environnement), a rapidement démontré l’absence de scories qui aurait dû logiquement se retrouver dans un four de réduction du fer. Les fouilles n’ont pas non plus permis de découvrir des restes de chaux qui auraient dû se conserver dans un éventuel four à chaux, structure également assez commune dans cette région. La structure circulaire mise au jour était en partie comblée par un matériau noir, très compact, qui dégageait une odeur de suie très marquée. Ce four ne pouvait alors être qu’un four à poix !

La butte en fin de fouille. A gauche : la couche de poix carbonisée. A droite : l'arrondi du four. Au fond à gauche : la cheminée d'accès à l'intérieur du four. (cliché : Hervé Richard)

Ce que l’on sait des fours à poix

La poix, ou « pège », du latin « pix, picis » est la résine de l’arbre à poix, l’épicéa (Picea abies) certainement, et plus rarement semble-t-il le sapin (Abies alba). Sa production se rattache à celle de goudrons végétaux issus de résineux comme le mélèze et surtout le pin dans d’autres régions. L’utilisation de la résine est bien antérieure au Moyen Âge, puisque Strabon l’évoque explicitement en mentionnant certaines tribus montagnardes des Alpes avec qui des échanges de résine, de poix, de bois de résineux,… se font avec les habitants de la Plaine.

Sur le Jura, l’extraction, le commerce et l’usage de la poix sont bien décrits dans la thèse d’Elisabeth Carry Renaud (2011). La poix était une denrée tellement recherchée, que seigneurs et abbayes s’en réservaient l’exclusivité et en faisaient l’objet d’impôts. Une charte octroyée par le prieuré de Mouthe stipulait en 1301, que « Les habitants ne pourraient vendre qu’au seigneur ou par son ordre, pour ses fourneaux des Fourgs établis en 1266, la poix ou la résine recueillie dans les forêts ».

Le peuplement du Jura au XIIème siècle, vu par François-Nicolas-Eugène Droz (1760) Mémoires pour servir à l'histoire de la ville de Pontarlier. CJ Daclin, Imprimeur du Roi. Besançon. On apprend aussi que, dès la fin du XIIe siècle, des fours à poix sont attestés au lieu qui allait en tirer son nom : Les Fourgs (Doubs). La maison de Chalon, propriétaire de la Combe du Voirnon, fit construire un four au lieu-dit « La Seigne Villard » ou « Seigne Wiffard » dont l’emplacement est la Vieille-Beuffarde. Un autre est signalé, le four d’Auron, non loin de la « fontaine de la Haute-Joux » (actuellement complètement détruit).

Extrait de François-Nicolas-Eugène Droz (1760) Mémoires pour servir à l'histoire de la ville de Pontarlier. CJ Daclin, Imprimeur du Roi. Besançon.Elisabeth Carry Renaud apporte aussi des précisions sur l’extraction de la résine, l’obtention de la « poix blanche » (résine durcie à l’air), le passage de la résine à la « poix noire » par distillation de bois résineux, les fours et les techniques… Et bien entendu ses diverses utilisations : colle de goudron, elle permettait de faire adhérer plusieurs objets, d’assurer l’étanchéité de récipients, des auges, de calfater les bateaux. Elle permettait aussi d’amalgamer les brins de fil de lin ou de chanvre et de les rendre imputrescibles, c’est ainsi qu’elle était très employée par les cordonniers et les bourreliers. Elle servait également à rigidifier les cordages. Cet aspect très collant se retrouve dans le terme poissard et poisser qui désigne un voleur et l’action de voler parce que le voleur fait main basse sur tout ce qu’il touche, comme si ses mains très collantes étaient enduites de poix. Dans la pharmacopée, la poix avait des vertus cicatrisantes, surtout destinée aux animaux, car elle résiste aux grattages, possède des propriétés bactéricides. Un usage plus original est aussi lié à son pouvoir adhésif : la poix aurait servi, dans le Haut-Doubs, à épiler les porcs… Mais on l’utilisait surtout pour l’éclairage, on en imbibait les torches, c’était l’éclairage le plus commun dans les maisons paysannes. La poix était bien évidemment aussi utilisée dans la guerre, puisqu’elle entrait dans la composition du feu grégeois, extrêmement efficace, notamment dans les combats navals. L’apparition de la poudre à canon au XIVème siècle va rapidement réduire l’utilisation du feu grégeois et signer ainsi l’arrêt de la production de poix. Aux Fourgs, la production de la poix s’arrête aux environs de 1585.

Et ensuite...

Sondage destiné à la palynologie au cœur de la tourbière de La BeuffardeDes datations radiocarbone vont être effectuées rapidement sur les charbons découverts lors de la fouille pour préciser la date et la durée d’utilisation du four. L’analyse palynologique de la tourbière de la Beuffarde (située à moins de 100 mètres du four !) effectué par Emilie Gauthier au cours de sa thèse (2001) montrait des phases de défrichement dont l’origine supposée était agro-pastorale. Une nouvelle analyse de cette tourbière et de la tourbière de L’Auberson, située dans la même combe, côté suisse, sera faite à l’aune des nouveaux éléments apportés par la fouille et les prospections associées. Une multitude d’interrogations demeurent. Quel impact l’exploitation de la poix avait-elle sur la forêt ? Comment les défrichements étaient-il gérés, sachant qu’on puisait abondamment dans les bois également pour la construction, la réduction du minerai, la transformation et le traitement des métaux, et aussi bien sûr pour ouvrir des espaces destinés aux pâturages.

Contacts :

Chrono-environnement

Caligae

  • Murielle Montandon